REVELATIONS

from 06/06 to 26/07/14

Thierry Cauwet

Preuves
1) Trois jours après l’accrochage de mon installation à la Maëlle Galerie, ce jeudi 22 mai 2014, j’écoute l’émission sur France Inter de la veille, interview de J.L Godard. Il évoque Ph.Sollers à qui on reprochait de faire des citations et qui répondait : «Ce ne sont pas des citations ce sont des preuves»

2) J.L Godard, toujours:
«On voit plus la profondeur dans Citizen Kane, quand il prenait des objectifs pour faire de la contre-plongée. Il y a un désir puisque c’est plat de faire de la profondeur… Un désir qu’a eu rarement la peinture sauf à l’époque de la Renaissance quand ils ont inventés la perspective, si vous voulez, mais ensuite ils sont… ils construisaient souvent…. Piero de la Francesca construisait souvent ses tableaux très soigneusement avec la perspective, les lignes de fuite et comme ça… et après…… mais il n’y avait pas que cela…. c’était pour aller ailleurs dans la religion… pour aller ailleurs… et des choses comme cela… et dans mon film je cite une parole de Céline qui disait «Le difficile c’est de faire rentrer le plat dans la profondeur», non pas exactement le contraire ! J’aime bien faire le… d’abord on dit «par esprit de contradiction»… mais parce que dans cet esprit de contradiction on peut trouver une chose «contra l’addiction»… une autre diction, qui fait qu’il y a aussi le son qui vient et qu’on va à côté tout en se servant de ça…»

Expérience
Mon passage du tableau vivant à la peinture s’est accompagné de ma découverte d’un nouveau monde quand je me suis installé à la Martinique en 1988. C’est une expérience importante dans mon existence, cela a marqué ma vie et mon oeuvre.
Je me suis découvert «créole» et je le suis resté, je crois, à ma manière. J’ai peu à peu pendant les années qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui développé une à une des «fonctions picturales» (j’ai écrit un livre avec ce titre édité par les éditions Ulisse). Chaque «acte pictural» (ou fonction) intervient à un moment donné du processus de fabrication de la peinture. Ma peinture n’est pas idéaliste, je ne fais pas d’esquisses, pas de projet. Ma peinture est en ce sens très matérialiste. Par ailleurs mon travail veut rendre compte d’un rapport particulier entre le plan et l’espace, ce que j’ai nommé il y a longtemps «la guillotine de l’espace» c’est à dire sa découpe en plan parallèles. Ceci est lié à une expérience de vision que j’ai eu à 17 ans dans le métro parisien où, dans une rame, j’ai eu très précisément l’impression que chaque personne était plate, peinte sur un plan de verre, j’ai eu ce jour là peut-être pour la première fois l’impression de VOIR.

Révélations
La systématisation du travail pictural de la couche par l’effacement ou la découpe de celle-ci m’a amené à penser ce qu’est une forme et ce qu’est un fond. De cette réflexion est née une poétique de l’espace qu’une installation des pelures dans l’espace rend visible (entre les deux dimensions du plan et les trois dimensions de l’espace…), la présentation des images en plans parallèles dans l’espace étant la plus à même de traduire, en plus de ma pratique de la couche découpée, trouée qu’elle révèle, le monde sensible de la perception visuelle qui m’entoure.
Révéler, étymologiquement, signifie paradoxalement recouvrir d’un voile.
Peindre c’est cela : La pratique quotidienne et matérialiste de la révélation.

Machines de Guérison
Godard: «ça permet de se dire qu’on a deux yeux… et ensuite d’en faire quelque chose»
Et pourquoi est-ce si important d’avoir deux yeux ? Parce qu’ouvrir les deux yeux guérit.
M.Foucault, dans Surveiller et punir, montre comment rien n’échappe à l’œil unique de surveillance dans la prison. Lacan oppose le photo-centrisme, fait de lumière et d’ombre à l’héliocentrique; le soleil comme centre de l’univers, le roi-soleil. Il oppose l’ellipse au cercle. l’ellipse a deux centres, deux yeux, là où le cercle n’en a qu’un. Le dictateur est borgne car l’autre œil pourrait l’affaiblir en lui montrant l’altérité… Le pouvoir de l’un est ce phallus borgne, que les romains nommaient le fascinus. Pascal Quignard: «Le mot grec phallos se dit en latin fascinus. Le fascinus arrête le regard au point qu’il ne peut s’en détacher. (…) Le mot fascis qui désigne les baguettes de bouleau reliées par une courroie que tiennent les licteurs qui précèdent les Pères qui se rendent à la curie est le même que celui qui désigne le fascinus, la fascination, le fascisme.»

À contrario, Godard dirait «contra l’addiction», le désir étymologiquement est lié au latin desidere, aller contre la sidération du phallus dressé. (cette guerre entre les partisans du 1 et du 2 nous la retrouvons dans le mythe du schisme d’Irshru, décrit par d’Artaud )

A la révélation picturale s’adjoint une révélation philosophique et politique.

Thierry Cauwet