BIG BANG BOOM ! A COSMIC POETRY

from 12/02/12 to 13/05/13

ERNEST BRELEUR

 Poésie 

Je n’arrive pas à…Comment écrire sur vous ?
Dire quoi ? Dire c’est de langagement
Tant de grandes figures ont déjà écrit sur votre oeuvre et elles comme vous, avez construit une barricade faite de casques et de boucliers ; pris entre les lacrymogènes ; je toussais. 
J’ai fui et laissé derrière moi deux discours au lieu d’un seul pour m’approcher de vous. Celui-là poétise, comme vous 

 Sur vos dessins

Tout commencerait par un manque…par un spasme, une contraction musculaire du cosmos qui n’en peut plus et cette première molécule qui tressaille d’un frottement avec celle qui lui manque depuis toujours (« tu me manques terriblement… ».) et ce premier lait qu’elle boit ouverte jusqu’à l’éruption éructions et première création 
(comme cette scène que j’imagine où couchée près de moi la lumière défaite je bois ton lait entre deux eaux)
Premières heures d’une orgie en longs déploiements de doigts dans les bouches humectées des astres nus et d’un désastre de trous noirs qui jouissent grâce faite aux légers vrombissements couplés de deux astres qui bandent 
Et le dernier cri déchirant du cosmos à la fin de son plaisir érotique et un premier râle mouillé
qui tombe en gouttes sur nos têtes crépues des millions d’années après, encore
Souvenirs d’une première étreinte de premières pluies nuptiales 

Mon regard, démis 
pendant que ces corps jouent leur orgie, doux leurs doigts dans les bouches chaudes du cosmos osmose, seins qui fleurissent tendres en dépliures d’hibiscus, lèvres défaites par un tremblement définitif l’infinitif
du 
baiser qui est un verbe, que ces silhouettes performent dans le noir où elles jouissent par et pour elles-mêmes sans points de fuites – ni bacchantes ni baigneuses de Rubens, Fragonard ou Picasso. 
Tu me manques 

Le temps et l’espace décousus sans lanmou sans le mûrissement des glands où glisse ta langue (après que tu viennes) qui sécrète des fruits nouveaux l’eau de tes mains qui tarie et ton absence lourde…Le temps m’est un couteau sous la gorge, 
– et pendant ce temps encore ces corps que j’entends jouir par-delà la cloison, leur peau cybernétique, un oui en contact léger et l’éclaboussement d’un lait communal où chacun mêle ses lèvres humidifiées ; poussent les courbures d’un arbre qui ne racine jamais, des branches qui s’endoigtent et s’enlanguent toujours plus fort jusqu’à cracher des fleurs d’hibiscus, belles d’éclats. Elles crient une dernière orgie. 

UN MONDE SORT UNE TÊTE, BELLE 

Et moi (le regardeur aveugle qui ne critique pas) ne suis que le voisin de leur plaisir, qui tente ici une poésie du cosmos comme dans vos dessins, Ernest. 

Sur vos sculptures 

Et puis vos algues sculptées qui continuent l’élan, qui pendent comme les sargasses au bord perdu de nos plages, qui composent une image qui est une poésie comme ce tableau que j’imagine : le corps d’Osiris éparpillé au bout de mon sexe égyptien léger que vient recoudre Isis (à l’image de votre pratique qui recoupe des bouts de corps)

Composées de pompons radiographies perles qui m’aident à me travestir ; ce rouge sur mes lèvres ouvertes, ce fard sur mes paupières envolées. Vous récoltez dans des brocantes de vieux objets pour ensuite composer des aubes (odes) qui viennent congédier vié esprits vié fantômes. Je sais que la mort murmure ses raisons derrière nos fêtes et nos carnavals où nous dansons et chantons derrière les tambouyés– la mort est invitée à jouer son rôle mais, surtout, qu’elle ne vienne pas tout foutre en l’air ! 

Si vous chantez aujourd’hui les joies, Ernest, c’est en connaissance des peines – citons vos séries (de peintures ou de sculptures) longtemps consacrées à la vie sous l’œil de la mort : Mythologie de la lune, Crucifixions, « Radiographies », Portraits sans  visages… Aujourd’hui, nous chantons les reproductions et accouplements célestes ! – Et ne me parlez ni de Relation ni d’opacité ou d’imprévisible si ce n’est pour leur tordre le cou. Merci 
En fin de ce grand carnaval, les corolles qui déclignent

Le commencement d’une vie nouvelle qui se présente devant vous. 

La fin comme le début Ernest est un grand trou noir, un long monologue après l’épuisement 

plus de regards pour vous juger vous enfermer le samsāra défait

le corps pulvérisé et ce premier souvenir d’une vie somme toute 

définitive 

remarquable 

la vôtre, 

cher

Ernest 

 Théorie

Il y a là dans cette exposition sept dessins provenant de deux séries : L’origine du monde (2013) et L’énigme du désir (2014), et quatre sculptures venant elles de trois séries : Le vivant, passage par le féminin (2015), et série féminin suite (2019). Tous traversent la notion du désir, du féminin et du cosmique. Je traverserai dans un premier temps ces notions, ensuite je passerai vers un terrain plus critique (à propos des discours que l’on tient parfois sur votre travail) et enfin je reviendrai sur cette notion du cosmique ou du cosmos plus précisément.

 Qu’est ce qui nous force et entraine à entrer en relations ? Quels sont ces rythmes et ces tempos qui produisent du différent et d’infinies variations ? 
J’imagine grâce à vos oeuvres sur papier que ces rythmes pourraient être des rythmes de désirs, que tout rapport ne s’effectue pas comme ça mais bien à partir de nos sentiments, émotions et affects.

Il n’y a pas de Relation mais seulement des re-lations particulières (des particules de relations) qui entretiennent le désir, lanmou (ou le contraire) comme dans vos dessins Ernest où le cosmos devient l’espace sans horizon, où le désir est ce qui fait joindre et disjoindre les corps en flottement. Et ces relations particulières poussent dans vos dessins à des couplements au-delà des coupements qui ne me semblent pas obéir aux pensées de séparation faisant alterner féminin/masculin, blanc/noir, homme/ animal… Le cosmique est (peut-être) ce qui ne connait ni le dyadique exclusif ni le binaire ; il est le lieu du plus que soi, des infinités où la cohérence habite dans les coupes de l’incohérence.
Le soi n’existe plus, il éclate. 

 Je parlerai ensuite de ce que vous appelez des «apparats féminins». Il y a là du travestissement, des nœuds diaboliques (le dogme chrétien n’a jamais aimé les noeuds, les 6).

Ces «apparats» ne m’auraient pas du tout parlé s’ils n’étaient qu’une nouvelle manière de coloniser des corps et de jouer sur les planches d’un couteau qui est un miroir bifide. Non, au lieu de ça j’entends et j’écoute ces « apparats » comme des jeux d’alternances et de variations. Il y a dans cette catégorie de féminin que vous employez des pratiques de travestissements carnavalesques et créoles queerisant d’anciennes catégories restées coloniales.

Second point que j’aimerais partager avec vous. C’est une conception du temps (d’un temps chaotique, en cercles répétés, à l’image du cosmos).

Lisant les discours que l’on a pu tenir sur votre travail, j’ai remarqué que l’on opérait, comme grille de lecture, ce qu’on pourrait appeler des lignes ou des pensées de ruptures. Tout serait presque déjà expliqué : en 1989 vous rejoignez le groupe martiniquais Fwomagé – en 1992, vous rompez avec la peinture – il y a ensuite les radiographies – puis vous reprenez vers 2013-2014 vos dessins. Bref, il n’y a que des séries d’évènements lus sous le prisme de la rupture. Vous concernant je parlerais d’accélérations. Pour moi Ernest, vous avalez le temps, vous le vivez dans l’urgence et traversez en une courte période une multitude de données. Vous êtes dans une accélération face à l’urgence – de quoi ? – du monde, de nos situations, de nos précarités. Il n’y a pas une succession de coupes de temps, c’est un même temps qui s’accélère et parfois ralentit et qui dans sa propre accélération concentre et avale plusieurs autres temps à l’image d’un cyclone. Parfois, vous revenez sur des choses faites lors de vos débuts. Ce temps est comme un disque, il a ses rembobinages, ses syncopes, ses sauts, ses arrêts et ses accélérations. Dans tous les cas, ces discours saisissent l’évènement comme un coup, comme quelque chose qui rompt mais je pense que c’est une mauvaise lecture, que c’est une lecture de théoriciens, de critiques et non d’artistes.

Intuition : Les pensées de ruptures sont pour les analystes et les policiers

Dernier point : l’image du cosmos ou du cosmique.

Le point de fuite, le point de vue s’arrête à l’horizon. Mais il n’y a plus d’horizon dans le cosmos, plus de ligne, il n’y a qu’une totalité. Le point de liberté n’est plus une coordonnée terrestre ni territoriale, c’est un plan cosmique et spirituelle où les coupes d’identités disparaissent pour laisser place à des points de résonances avec le monde dans sa totalité sentie et rêvée. Ne pouvons-nous pas penser pour chacun.e.s non pas qu’un droit à l’opacité mais surtout un droit au cosmique qui établirait pour nous non pas qu’une relation aux autres êtres humains mais au cosmos et à l’ensemble du vivant ? Le cosmos est le point ultime, celui où le marron finit sa route, celui où il retrouve les marques de récits anciens où la respiration des plantes, où les énergies telluriques, où les rythmes des vagues sont approchés comme des semblables. Le cosmos est même ce point de décollage où le rêve se projette jusque dans l’Espace, rêvant de futurismes, dépassant la question du possible au risque de ne jamais atterrir si ce n’est dans une autre planète. Je suis sûr, que si nous étions capables de couper à même le réel ou l’air, de nouveaux mondes s’ouvriraient à nous. Au final, je me demande si ce concept de cosmique, d’un espace/temps inconnaissable et chaotique ne serait pas le vrai lieu pour nous d’une décolonialité (c’est ce que semble penser les multiples variations de l’Afro-futurisme).

Intuition : Le corps reste encore ce dernier mythe, ce dernier fétiche jusqu’à la prochaine annonce de de son éclatement (et non explosion) dans le cosmos. Plus de pensées binaires. On vivrait là dans le monde des molécules et des particules révolutionnaires et la science deviendrait une rythmologie calculant non plus les trajectoires significatives mais les rythmes asignifiants. Érotisme galactique, reproductions cosmiques et non binaires.

Enfin, je vous avoue que ce texte a été presque impossible à écrire. Je n’osais pas, je fuyais. Votre travail qui outrepassait mon regard. Mais disons que ma seule idée, au-delà d’écrire aux alentours de vos œuvres, a été de dire ceci : qu’aucune approche critique ne prévaut et qu’approcher un travail (que l’on aime), c’est se mettre à danser avec lui, à tourner et trébucher. Voici, sous l’oeil de votre jugement, mes bigidis répétés. 

Chris Cyrille