I Call You From The Crossroads

du 06/02 au 20/03/2020

 ABEL TECHER

I call you from the crossroads
Come and be good to me

And treat me right
Who knows the direction the winds will blow? 
Come and kiss me softly in this hard life 
Whisper sweet things and just let go

Anohni – KARMA (2017)

Par la peinture, le dessin, la photographie et la sculpture, Abel Techer incarne la performativité des genres telle que Judith Butler l’a théorisé dans son ouvrage Trouble dans le Genre (1990). En 2015, il réalise un nouvel autoportrait. Une oeuvre sans titre où l’artiste se représente le torse nu, légèrement de trois quarts. Tandis qu’il nous regarde fixement, il pince et rehausse sa poi- trine. Au mur, au-dessus de lui, sont accrochés deux pompons en laine, signes d’une masculinité vulnérable. En bas de la composition à gauche est déposée une paire de ciseaux évoquant la coupure, la castration, la transition. Plusieurs récits nous sont proposés, à nous de nous projeter. Cette œuvre, présente à la Maëlle Galerie, témoigne d’une rencontre plastique et politique avec Abel Techer.

Cinq années ont passé. Si Abel Techer mène une recherche déterminée par les problématiques de l’autoreprésentation, de l’autofiction et de la performativité des genres, les oeuvres récentes attestent d’une radicalisation de son positionnement vis-à-vis d’un refus d’une binarité étouffante. Aux normes déterminantes et rassurantes, Abel Techer préfère le trouble et une pluralité d’al- ternatives. Cheveux rasés, l’artiste fait de son corps un objet, un mannequin en plastique qu’il habille, déshabille, asccessorise et maquille sans relâche. Un corps imberbe, sans âge et sans contexte. Un corps libéré d’une identité toxique à laquelle chacun.e devrait se conformer : être assigné homme ou femme de la naissance jusqu’à la mort. Un corps mis en scène au creux de fantasmes ou de fantasmagories dont le lieu serait l’enfance. Les peluches, les bibelots, les mo- tifs et les couleurs pastel nous renvoient vers ce territoire où le mouvement est permanent. Un moment de transition, de transformation où les corps ne sont pas encore tout à fait normés. Un moment de jeu, de peurs, de rêves, de devenirs.

Abel Techer parle de corps incomplets : « Le corps comme la représentation sont en train de se construire ou se défaire, c’est un état transitoire, une plateforme en mouvement. » Le choix d’un traitement académique participe d’une volonté de s’inscrire dans une histoire de l’art jusqu’ici écrite et fabriquée par les tenant.e.s du patriarcat. Le classicisme des peintures et des dessins est un statement plastique et politique. Par lui et par une douceur hautement subversive, Abel Techer introduit l’insolence, la joie, la vulnérabilité, l’ironie et l’inconvenance. Car il s’agit en creux de signifier l’exclusion de corps soigneusement mis à l’écart d’une histoire de l’art trop autoritaire et trop malveillante. Dans la lignée de ses ainé.e.s, l’artiste s’engage pour un art pensé par-delà les normes et les traditions, un art absolument queer.

 Julie Crenn